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INTERVIEW – Transmission d’entreprise, vendre, puis donner… ou donner, puis vendre ?

Avec Sylvain de Chaumont, avocat associé, Oratio Nantes

À l’occasion de la vente des titres d’une société, le dirigeant se pose fréquemment la question de la transmission de son patrimoine. Une technique permet de répondre à ses objectifs tout en optimisant l’opération sur le plan fiscal : il s’agit de la « donation avant cession » que nous allons évoquer avec Sylvain de Chaumont, avocat associé chez Oratio.

O’News : De prime abord, pouvez-vous nous rappeler comment est taxé le gain réalisé à l’occasion de la vente des titres d’une société ?

La plus-value réalisée lors de la vente de titres d’une société est soumise à l’impôt sur le revenu, calculé selon le barème progressif, ainsi qu’aux prélèvements sociaux (au taux global de 15,5 %). Pour le calcul de l’impôt sur le revenu, le montant de la plus-value imposable sera diminué d’un abattement qui sera fonction de la durée de détention des titres vendus : il sera de 50 % pour des titres détenus depuis au moins 2 ans et moins de 8 ans et de 65 % pour des titres détenus depuis au moins 8 ans (ces abattements sont majorés dans l’hypothèse d’une vente de titres au sein du groupe familial, d’une vente de titres souscrits ou achetés lorsque la société était créée depuis moins de 10 ans et d’une vente de titres concomitante au départ en retraite du vendeur).

Ces règles concernent la vente de titres de sociétés soumises à l’IS. Il faut mettre à part la cession des titres d’une société de personnes, dont les résultats sont directement imposés au niveau de l’associé à l’impôt sur le revenu. Les modalités d’imposition sont différentes avec, en plus, une distinction selon que l’associé exerce ou non dans cette société son activité principale.

O’N : Malgré ces abattements, on constate que la plus-value réalisée lors de la vente des titres d’une société peut être lourdement fiscalisée. En quoi une opération de « donation avant cession » va-t-elle permettre de limiter cet impact fiscal ?

À l’occasion de la vente de ses titres, un dirigeant peut envisager d’organiser la transmission de son patrimoine. Dans un schéma classique, il s’agira pour le dirigeant de vendre ses titres de société, puis de transmettre tout ou partie du produit de cette vente à ses enfants par exemple. Dans ce cas, on assiste à deux niveaux d’imposition : le premier se situe au niveau de la taxation de la plus-value et le second se situe au niveau de la taxation de la donation du produit de la vente.

En recourant à la « donation avant cession », les opérations sont inversées : toujours de manière schématique, il s’agit pour le dirigeant de donner ses titres à ses enfants qui procéderont à leur tour à la vente de ces titres. Si la taxation de la donation n’est pas évitée (encore que par le jeu des abattements, le coût fiscal peut être optimisé), la cession des titres ne dégage aucune plus-value et donc aucune taxation si le prix de cession correspond à la valeur retenue pour la donation.

Les schémas peuvent être plus complexes selon les objectifs poursuivis par le dirigeant. Par exemple, la donation peut être réalisée avec une réserve d’usufruit viager (donation de la seule nue-propriété aux enfants), auquel cas l’optimisation fiscale de la cession doit être nuancée notamment selon le partage du prix de cession et/ou le réinvestissement envisagé.

O’N : Lorsqu’on parle d’optimisation fiscale, on pense inévitablement au risque fiscal. Quelle est la position de l’administration fiscale face à ce type d’opération ?

L’opération de donation avant cession répond notamment à un objectif d’effacement de la plus-value fiscale et donc de l’imposition. Mais la recherche d’une absence de taxation ne doit pas être le seul et unique objectif du dirigeant. Une telle option doit également présenter un intérêt patrimonial, sous peine de voir l’administration fiscale remettre en cause l’opération.

L’administration regarde, en effet, avec une grande vigilance les donations avant cession. Si elle considère que l’opération ne répond qu’à une préoccupation fiscale, celle de purger la plus-value imposable, en dehors de toute autre considération, elle pourrait être tentée de la requalifier comme étant caractéristique d’un abus de droit.

Il faut rappeler que l’abus de droit est lourdement sanctionné par une majoration qui peut aller jusqu’à 80 % du montant de l’impôt éludé.

O’N : Quelles sont alors les conditions à respecter impérativement pour éviter toute remise en cause par l’administration ?

Pour que cette optimisation fiscale ne risque pas de remise en cause, il est impératif que la donation soit enregistrée ou conclue par acte authentique avant la vente et qu’elle soit bien réelle (il ne faut pas que le dirigeant, donateur des titres, apparaisse comme le seul bénéficiaire du prix de vente des titres). Si ces conditions ne sont pas respectées, l’administration serait fondée à requalifier l’opération et à imposer la totalité de la plus-value au niveau du donateur.

O’N : Quelles précautions doit prendre un dirigeant qui voudrait se lancer dans une telle opération ?

À l’évidence, une opération de ce type requiert de s’entourer de spécialistes rompus à ce genre d’exercice qui nécessite une analyse patrimoniale précise et la prise en compte de plusieurs paramètres en fonction des objectifs poursuivis par le dirigeant.

Il est notamment impératif de respecter la chronologie des opérations afin que leur concomitance ne soit pas une source de remise en cause par l’administration. Il faut, à cet égard, être très vigilant à propos du contenu de l’avant-contrat de cession des titres, spécialement lorsqu’il est initié avant la donation des titres.

Il faut également veiller à ce que le donateur se dépouille réellement et définitivement des titres donnés de manière à démontrer que l’opération réalisée est avant tout une opération de transmission du patrimoine. Une fois la vente réalisée, il faut aussi organiser la gestion du patrimoine, notamment au regard du remploi des fonds issus de la vente, en s’assurant que les outils mis en place ne soient pas analysés comme un moyen pour le dirigeant de se réapproprier la totalité du prix de vente des titres.


Plutôt que de vendre les titres (opération générant la taxation du gain réalisé) puis de donner tout ou partie du prix de vente (donation générant des droits à payer), il peut être judicieux d’inverser les opérations : donner au préalable les titres aux enfants par exemple qui procèderont à leur vente, ce qui permet d’effacer la plus-value.

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