Préjudice écologique : comment le réparer ?
Les questions écologiques prennent de plus en plus d’importance et vont sûrement donner lieu à de nombreux litiges dans les années à venir. Il est donc important pour une entreprise d’anticiper son éventuelle mise en cause, le cas échéant, avec l’aide des collaborateurs de notre cabinet, qui se tiennent à votre disposition.
La responsabilité des entreprises est souvent envisagée du point de vue civil et pénal. Plus rarement, elle est abordée sous l’angle écologique. Or, les problématiques environnementales ont amené le législateur à créer en 2016 une action en réparation du préjudice écologique, au titre de laquelle la responsabilité de l’entreprise peut être engagée, comme va nous l’expliquer Louis-René Penneau, avocat associé chez Oratio.
Qu’est-ce que l’action en réparation d‘un préjudice écologique ?
Louis-René Penneau : Depuis plusieurs années, les questions écologiques prennent de plus en plus d’importance, notamment s’agissant de la question de la réparation des dommages qui peuvent être causés à la nature. Or, auparavant, pour qu’il y ait un préjudice indemnisable, il fallait une victime qui ne pouvait être qu’une personne physique ou morale. Ce qui posait des difficultés lorsqu’un préjudice écologique ne faisait aucune victime, à part la nature elle-même.
Mais, en 2012, les juges ont officiellement reconnu le principe de préjudice écologique, principe que le législateur a consacré dans le Code civil en 2016. Ainsi, celui-ci prévoit, depuis trois ans, que « toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer ». Cette action extracontractuelle peut mettre en cause la responsabilité d’un professionnel comme celle d’un particulier.
Cette action vise à réparer le préjudice écologique qui se définit comme une atteinte non négligeable aux éléments (eaux, sols, atmosphère, habitats naturels, etc.) ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement (présence de poissons dans une rivière, par exemple).
Le terme d’« atteinte non négligeable » signifie que la pollution présente une certaine gravité. Toutefois, il est à noter qu’aucun seuil de gravité n’a été défini par la loi. C’est donc au juge qu’il revient de le préciser. Pour ce faire, ce dernier peut s’appuyer sur des méthodes d’évaluation des dommages écologiques publiées par le ministère de l’Agriculture.
Comme il n’y a pas de « victime » à proprement parler hormis la nature, qui peut engager une action en réparation du préjudice écologique ?
Louis-René Penneau : Seules peuvent agir en justice les personnes qui justifient d’un « intérêt à agir ». Ainsi, n’importe qui, dès lors qu’il justifie de cet intérêt à agir, peut engager une action en réparation d’un préjudice écologique. C’est au juge de le déterminer.
Toutefois, certaines institutions disposent par principe d’un intérêt à agir, que le juge n’aura donc pas besoin de déterminer, à savoir : l’État, l’Agence française pour la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, les établissements publics et les associations agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d’introduction de l’instance qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement.
Notez que l’action en justice visant à réparer un préjudice écologique se prescrit par dix ans à compter du jour où la personne qui l’engage a connu ou aurait dû connaître la manifestation du préjudice écologique.
Par ailleurs, en plus de la réparation du préjudice écologique, la personne qui engage l’action peut demander au juge de prescrire les mesures raisonnables propres à prévenir ou faire cesser le dommage.
Si le juge considère qu’il y a effectivement un préjudice écologique, quelles sanctions peut-il prendre ?
Louis-René Penneau : Par principe, la réparation du préjudice écologique s’effectue en priorité en nature : cela signifie généralement la remise du site dans l’état où il se trouvait avant la réalisation du dommage écologique ou sa dépollution.
Toutefois, la remise en l’état ou la dépollution peut s’avérer insuffisante pour réparer le dommage. Parfois, elle peut même être impossible. Dans ces situations, le juge peut condamner l’auteur du dommage écologique à verser des dommages-intérêts. Ces indemnités peuvent notamment comprendre les dépenses exposées pour prévenir la réalisation imminente d’un dommage, pour éviter son aggravation ou pour en réduire les conséquences.
Par ailleurs, la somme fixée par le juge est obligatoirement affectée à la réparation de l’environnement. À cette fin, elle est versée :
– soit à la personne qui a intenté l’action en réparation du préjudice écologique ;
– soit à l’État, si la personne précitée ne peut pas prendre toutes les mesures utiles à la réparation du préjudice écologique.
En outre, sachez que pour fixer le montant des dommages intérêts, le juge doit tenir compte, le cas échéant, des mesures de réparation du dommage écologique déjà intervenues, dans le cadre d’une action environnementale menée par le préfet.
Vous évoquez une action environnementale menée par le préfet : pouvez-vous nous en dire plus ?
Louis-René Penneau : Il s’agit d’une action reposant sur le principe de « pollueur-payeur », créée en 2008. Elle possède plusieurs particularités par rapport à l’action en réparation d’un préjudice écologique.
La première particularité réside dans le champ d’application de l’action environnementale : seule la responsabilité des professionnels peut être engagée.
« La réparation du préjudice écologique s’effectue en priorité en nature : cela signifie généralement la remise du site dans l’état où il se trouvait avant la réalisation du dommage écologique ou sa dépollution. »
Plus précisément, l’action environnementale pose le cadre juridique des mesures de prévention et de réparation des dommages causés à l’environnement par les « exploitants », c’est-à-dire « toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui exerce ou contrôle effectivement, à titre professionnel, une activité économique lucrative ou non lucrative ».
La deuxième particularité est d’ordre procédurale : l’autorité compétente est le préfet du département. Par ailleurs, l’exploitant est tenu à son égard d’un devoir d’information :
– lorsque le dommage est imminent, l’exploitant doit prendre les mesures nécessaires pour empêcher sa réalisation ou en limiter les effets et, si la menace persiste, en informer le préfet ;
– lorsque le dommage est survenu, l’exploitant doit en informer sans délai le préfet.
Une autre différence notable avec l’action en réparation d’un préjudice écologique doit être notée : l’exploitant est tenu, en cas de dommage, de le réparer exclusivement en nature.
Il existe donc deux actions environnementales qui peuvent engager la responsabilité d’une entreprise. Que doit-faire une entreprise pour se protéger ?
Louis-René Penneau : Une entreprise doit penser à souscrire les assurances adéquates qui vont couvrir sa responsabilité contre les dommages causés à l’environnement par son activité.
Pour déterminer l’étendue de sa garantie et l’opportunité de souscrire une assurance, il est nécessaire que l’entreprise détermine au préalable quels sont les risques que son activité lui fait encourir.
Pour terminer, pouvez-vous nous donner votre avis sur les actions juridiques à venir à propos de l’accident de l’usine Lubrizol, à Rouen ?
Louis-René Penneau : L’accident industriel de Rouen a occasionné des dommages aux personnes, aux biens et à l’environnement. Tous ces préjudices sont réparables. Ainsi, peuvent être réparés les préjudices sanitaires de diverses natures, sur le court ou moyen terme, subis par les personnes. Il est aussi possible de réparer les atteintes aux biens, puisque des immeubles d’habitation, des écoles, des crèches ont été pollués. De même, il est possible d’indemniser les services collectifs fournis par l’air, l’eau et les sols qui sont impactés par la pollution, au titre de la réparation du préjudice écologique.
Nous ne connaissons pas la typologie des assurances contractées par Lubrizol vis-à-vis de l’environnement, mais le site est certainement couvert, compte tenu de son classement Seveso. Il est probable que de prochaines actions civiles verront désigner des experts judiciaires pour évaluer la portée des préjudices subis.
De fait, des actions civiles vont certainement voir le jour prochainement. Il sera ainsi possible d’exercer une action en trouble anormal du voisinage devant le juge, en référé, pour obtenir la remise en état des propriétés touchées. Cette action est très simple à engager car il ne faut pas démontrer la faute de l’industriel, mais seulement l’existence d’un lien de causalité entre la pollution causée par l’industriel et le préjudice anormal subi par le riverain. Seule la notion d’indemnisation sera à apprécier, au moyen des expertises précédemment obtenues.
Il serait également possible, en matière indemnitaire, d’envisager de mettre en oeuvre le mécanisme de reconnaissance de l’état de catastrophe écologique. Ce mécanisme prévoit d’indemniser les dommages aux biens matériels. Le préfet doit prendre un arrêté en ce sens, selon une procédure inspirée du dispositif existant en matière de catastrophe naturelle. Toutefois, l’indemnisation ne peut être déclenchée que si 500 logements sont touchés par la catastrophe. Nous ignorons si c’est le cas en l’espèce. Cette solution a l’avantage de mobiliser immédiatement les assurances. En effet, tous les contrats d’assurance de biens des particuliers (multirisques habitation, multirisques automobile) comportent obligatoirement une garantie qui couvre les catastrophes technologiques.
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